LE CONSEIL D’ÉTAT INTERDIT AUX MAIRES D’IMPOSER LE PORT DU MASQUE OBLIGATOIRE EN PÉRIODE D’URGENCE SANITAIRE.
Auteur : Philippe Garro
Publié le :
21/04/2020
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2020
1.- Par une ordonnance du 17 avril 2020, le Conseil d’État a apporté des précisions dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire sur les concours de polices administratives générale et spéciale liés aux mesures visant à lutter contre l’épidémie (CE, 17 avril 2020, Commune de Sceaux, req. n°440057).
2.- Le Maire de Sceaux a édicté le 6 avril 2020, en application de son pouvoir de police administrative générale, un arrêté subordonnant les déplacements dans l’espace public des personnes de plus de dix ans au port d’un dispositif de protection buccal et nasal.
La Ligue des droits de l’homme a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise la suspension de cet arrêté.
Par une ordonnance n°2003905 du 9 avril 2020, le juge des référés du Tribunal administratif de Cergy Pontoise a suspendu cet arrêté.
La ville de Sceaux a alors demandé au Conseil d’État l’annulation de cette ordonnance et le rejet de la requête en référé suspension introduite contre l’arrêté du 6 avril 2020.
Dans son ordonnance du 17 avril 2020, le Conseil d’État rejette la requête de la ville de Sceaux et confirme ainsi la suspension de l’arrêté du 6 avril 2020.
A cette occasion, la haute juridiction rappelle dans quelles conditions des mesures de police administrative générale peuvent être mises en œuvre par le maire alors même qu’une police administrative spéciale a été affectée à une autre autorité administrative.
3.- Au préalable, il convient de rappeler que l’article 4 de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a déclaré l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire national pour une durée de deux mois.
Cette même loi a créé au sein du Code de la santé publique un chapitre dédié à la mise en œuvre des mesures liées à l’état d’urgence sanitaire (art. L. 3131-12 à L. 3131-20 du CSP).
3.1.- Ainsi, l’article L. 3131-15 du Code de la santé publique prévoit que le Premier ministre peut prendre différentes mesures dans le but de garantir la santé publique lorsque l’état d’urgence sanitaire est déclaré.
Ces mesures sont les suivantes (art. L. 3131-15 du CSP) :
1° Restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par décret
2° Interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ;
3° Ordonner des mesures ayant pour objet la mise en quarantaine, au sens de l’article 1er du règlement sanitaire international de 2005, des personnes susceptibles d’être affectées ;
4° Ordonner des mesures de placement et de maintien en isolement, au sens du même article 1er, à leur domicile ou tout autre lieu d’hébergement adapté, des personnes affectées ;
5° Ordonner la fermeture provisoire d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, à l’exception des établissements fournissant des biens ou des services de première nécessité ;
6° Limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature ;
7° Ordonner la réquisition de tous biens et services nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire ainsi que de toute personne nécessaire au fonctionnement de ces services ou à l’usage de ces biens. L’indemnisation de ces réquisitions est régie par le code de la défense ;
8° Prendre des mesures temporaires de contrôle des prix de certains produits rendues nécessaires pour prévenir ou corriger les tensions constatées sur le marché de certains produits, le Conseil national de la consommation est informé des mesures prises en ce sens,
9° En tant que de besoin, prendre toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés pour l’éradication de la catastrophe sanitaire ;
10° En tant que de besoin, prendre par décret toute autre mesure réglementaire limitant la liberté d’entreprendre, dans la seule finalité de mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l’article L. 3131-12 du présent code.
Sur le fondement de ces dispositions, le Premier ministre a édicté le 23 mars 2020 un Décret n°2020 293 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.
3.2.- L’article L. 3131-16 du Code de la santé publique prévoit que le Ministre de la santé peut également prescrire des mesures réglementaires relatives à l’organisation et au fonctionnement du dispositif de santé dans le but de mettre fin à la catastrophe sanitaire.
Ces mesures sont différentes de celles relevant de la compétence du Premier ministre.
3.3.- L’article L. 3131-17 du Code de la santé publique prévoit également que des mesures peuvent être prises à un échelon plus local.
D’une part, dans le cas où le Premier ministre ou le Ministre de la santé auraient pris des mesures, ils peuvent habiliter le représentant de l’État territorialement compétent pour prendre des mesures d’applications.
D’autre part, le Premier ministre ou le Ministre de la santé peuvent habiliter le Préfet à prendre directement les mesures relevant de leur compétence dès lors qu’elles doivent s’appliquer dans un champ géographique qui n’excède pas le territoire d’un département.
En définitive, la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid 19 a instauré une police administrative spéciale exercée par le Premier ministre et le Ministre de la santé dans le cas où un état d’urgence sanitaire est mis en œuvre.
En l’occurrence, l’état d’urgence sanitaire en cours pour lutter contre l’épidémie de Covid-19 permet au Premier ministre et au Ministre de la santé d’intervenir au titre de cette police spéciale.
4.- S’agissant des pouvoirs de police administrative générale, il convient de rappeler que l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales permet au maire d’intervenir pour assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques.
Toutefois, si le maire est l’autorité de police générale, il n’a pas vocation à intervenir dans toutes les situations.
Ainsi, dès lors que les troubles à l’ordre public excèdent le territoire de sa commune, le préfet est compétent pour intervenir au titre de la police générale (L. 2215-1 CGCT).
De même, dans le cas où le législateur a institué des pouvoirs de police spéciale à d’autres autorités administratives, le maire ne peut s’immiscer dans l’exercice de cette police sauf péril imminent (dans ce sens, concernant la police des ICPE, CE, 29 septembre 2003, req. n°218217).
En revanche, le Conseil d’État a déjà considéré qu’un maire pouvait aggraver des mesures réglementaires sur son territoire dès lors que des circonstances locales le justifiaient (CE, 18 avril 1902, Commune de Neris-les-Bain ; CE, 18 décembre 1959, Société Les Films Lutetia).
5.- Dans cette continuité, l’ordonnance du 17 avril 2020 articule les possibilités d’intervention du maire au titre de ses pouvoirs de police générale dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire autour de la notion de « circonstances locales ».
5.1.- Dans un premier temps, le Conseil d’État rappelle que les dispositions présentes aux articles L. 3131-15 à L. 3131-17 du Code de la santé publique constituent une police administrative spéciale « visant à mettre fin à une catastrophe sanitaire (…) en vue, notamment, d’assurer, compte tenu des données scientifiques disponibles, leur cohérence et leur efficacité sur l’ensemble du territoire concerné ».
Dès lors que c’est une police spéciale, le maire ne peut donc pas, en principe, s’immiscer dans l’exercice de celle-ci.
Ainsi, le Conseil d’État précise dans l’ordonnance du 17 avril 2020 que « la police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale, des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire ».
5.2.- Dans un second temps, le Conseil d’État définit toutefois les conditions dans lesquels le maire peut intervenir par exception.
5.2.1.- D’une part, il peut prendre des mesures destinées à contribuer à la bonne application, sur le territoire de sa commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l’État en raison de circonstances locales.
Dans ce cas, il peut notamment interdire l’accès à des lieux où sont susceptibles de se produire des rassemblements.
5.2.2.- D’autre part, il peut à titre exceptionnel intervenir en prenant des mesures pour lutter contre l’épidémie à deux conditions :
– des raisons impérieuses liées à des circonstances locales le rendent indispensable ;
– ne pas compromettre la cohérence et l’efficacité des mesures prises dans ce but par les autorités compétentes de l’État.
6.- En l’espèce, l’arrêté du Maire de Sceaux du 6 avril 2020 a interdit, au titre de la police générale, les déplacements des personnes âgées de plus de 10 ans dans l’espace public faute de porter un masque chirurgical ou FFP2 ou de porter un autre type de protection à condition que le nez et la bouche soient couverts.
La motivation de cet arrêté était fondée sur les éléments suivants :
– la population de la ville est âgée, 25 % de personnes ayant plus de 60 ans alors que la moyenne est de 19% en Île-de-France ;
– les commerces alimentaires sont concentrés dans une rue piétonne dont la largeur n’excède pas 4 mètres à certains endroits, rendant le respect des gestes de distanciation sociale compliqué en période de forte affluence.
Dans cette logique, le port obligatoire d’un masque permettait, selon la commune, de limiter le risque de propagation du virus et de contaminer des personnes vulnérables à Sceaux.
Toutefois, le Conseil d’État a censuré cet arrêté en estimant que la commune ne démontrait aucune raison impérieuse liée à des circonstances locales, la concentration des commerces dans un espace réduit et la démographie de la ville étant insuffisantes à cet égard pour justifier les mesures édictées.
De même, la haute juridiction estime que le port obligatoire du masque était de nature à nuire à la cohérence des mesures prises au niveau national alors même que le décret du 23 mars 2020 pris par le Premier ministre n’impose pas, à ce jour, le port de masque de protection.
Dès lors que les deux conditions nécessaires pour justifier l’intervention du Maire au titre de ses pouvoirs de police général n’étaient pas remplies, le Conseil d’État a logiquement confirmé la suspension de cet arrêté.
Plus généralement, à l’exception des mesures prises pour contribuer à la bonne application de la réglementation, il semble que les possibilités d’intervention des maires au titre des pouvoirs de police pour lutter contre l’épidémie soient assez limitées.
En effet, s’il apparait assez logique, au regard de la jurisprudence existante, que le Conseil d’État ait prévu des possibilités d’intervention des maires malgré l’existence d’une police spéciale, il n’en demeure pas moins que les conditions à réunir sont restrictives et n’incitent pas les maires à intervenir.
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